Cher Instagram,
Pendant longtemps tu as été mon réseau social préféré. En offrant la possibilité à Monsieur et Madame Tout le monde de s'exprimer par l'image, depuis son seul smartphone, tu as été mon terrain de jeux (de mots) favori où distiller mes notes d'esprit. En donnant instantanément l'accès à des milliards de photos, tu as été mon espace de prédilection où me divertir et puiser l'inspiration. Oui mais - il y a toujours un mais - là où selon moi, tu constitues un formidable lieu de création... tu rassembles aujourd'hui des millions et des millions de pales copies.
Les photos de restos avec l'assiette en équilibre incertain sur la table, pour laisser apercevoir sa paire de nouvelles chaussures et le joli carrelage de l'établissement, j'en peux plus. Quand c'est une table de brunch ou d'apéro prise de haut, un cœur dans un café latte ou un pain aux raisins sur fond urbain, j'en peux plus non plus. Les #ootd ("outfit of the day" pour les non initiés) dans une pause forcée, toujours identique et peu naturelle, j'en peux plus. Et je ne parle même pas des nanas en train de trainasser dans de beaux draps froissés, un mug à la main, le plateau du petit-déjeuner au bout des pieds. Ce stylisme culinaire devenu complètement lisse et banal, sur fond de planche en bois (ou en marbre, même combat), avec le torchon faussement froissé qui aurait été déposé là par hasard, les assiettes vintage dénichées à la brocante le dimanche précédent et le bouquet de fleurs qui donne à l'ensemble un côté nature morte (nouvelle tendance), j'en peux plus. Et cette mode du bowl healthy, que seul le topping suffit à rendre joli (parce que c'est quoi un "bowl" si ce n'est un assemblage de plusieurs aliments colorés ?), ça non plus j'en peux plus. Moi je veux de l'originalité, des gens qui osent sortir des cases, qui ne font pas comme le "voisinaute" (terme inventé à l'instant précis pour les besoins de l'article, NDLR), même si ça rapporte moins de "j'aime", qu'on me surprenne, qu'on me raconte une histoire, drôle, émouvante ou simplement banale. Mais qu'on me raconte quelque chose. Je veux des cheveux mal coiffés, des ongles mal vernis, des miettes sur la table, des traces de doigts sur les verres, des familles pas parfaites, des enfants qui font la tête et des bouts de salade entre les dents. Du vrai, du réel, de l'instantané. Le catalogue sur papier verni de La Redoute ou d'Ikea, mon facteur s'en charge déjà. Alors Instagram, je t'en supplie, dis à tes utilisateurs qu'à devoir montrer leur nombril, qu'ils restent au moins eux-même. De toute façon c'est simple, c'est ça où je te quitte. Instantanément.
Marion
PS : Quitte à me plonger dans des vies inventées et rêver de mondes imaginaires, je préfère tout simplement suivre ces quelques âmes d'artistes qui ne trichent pas sur leur intention, ne nous racontent pas des salades (et n'ont donc pas de raison de l'avoir entre les dents). Comme Kristián Mensa, Javier Pérez ou encore Brock Davis qui dénichent l'extra dans l'ordinaire, s'amusent de notre quotidien et le subliment d'un merveilleux coup de crayon magique. Dernier exemple en date, l'artiste espagnol Jesuso Ortiz tout droit venu d'une autre galaxie (c'est lui qui le dit) aux illustrations teintées d'une poésie enfantine et d'une certaine élégance. Merci Instagram d'oser malgré tout croire encore à la fantaisie.
Si vous avez été séduits par l'univers de Jesuso Ortiz, je vous invite fortement à poursuivre la dégustation sur son compte Instagram @jesuso_ortiz ! (il y a encore plein d'illustrations à découvrir... et pas seulement "alimentaires")
Sinon dans le même esprit, vous pouvez toujours (re)découvrir les univers de Kristián Mensa, Javier Pérez ou Brock Davis dont je vous avez parlé ici-même.